La pensée du Crabe
(Août 2000)
Ce que le Crabe pense dans son pertuis, traduit par Claudia Ticani.
rondini artificiali

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Le mois dernier, ici même, j'ai exprimé une thèse un tant soit peu risquée et arrogante. J'ai dit que les historiens sont incapables de raconter avec objectivité les faits récents, car ils ne réussissent pas à être impartiaux, et ceux passés depuis longtemps, car ils ne réussissent pas à comprendre les signes et les messages laissés par des populations lointaines d'une vision moderne de la réalité. Tout le monde sait que je suis un critiqueur. J'ai déjà pas mal d'ennemis, les avocats, les notaires, les mécaniciens, les dentistes, les conseillers commerciaux et fiscaux et, en général, tous ceux qui exigent des sommes considérables pour des services que n'importe qui saurait faire mieux qu'eux ou qu'il serait mieux ne pas faire du tout. N'y faites pas attention. C'est mon arrogance qui fait fureur. Et dire que je ne connais personne de plus humble et modeste que moi! Mais là, pourquoi devrais-je me mettre à dos ces dignes et doux chercheurs du passé qui, sûrement, font des efforts bien supérieurs à ce qu'ils peuvent y gagner? Aujourd'hui je fais amende et je soutiens comme tout un chacun que l'histoire est une école de vie. Qu'est-ce que ça vient faire là-dedans, me direz-vous. Eh bien, on sait que l'histoire est écrite par les historiens et ce sont donc eux qui voudraient devenir des écoles de vie. Un fait quelconque, écrit et évoqué n'a en soi aucune velléité d'enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit. En avez-vous déjà vu un avec une baguette en main, près du tableau, prêt à nous donner une leçon? L'histoire est une école de vie, oui, mais en sens négatif. Pour bien vivre et longtemps, il suffit de se comporter de manière absolument opposée à ce qu'ont fait, par exemple, la plupart des empereurs romains et leurs femmes et leurs mères. En effet, ces personnages avaient bien quelques années à jouir entre des orgies et des plaisirs inouïs - quand ils ne devaient pas courir à la tête des légions pour boucher les trous de l'empire - mais ils finissaient toujours, en l'espace de quelques années, tués par des prétoriens ou des sicaires. Et ceux qui ont été jugés morts de mort naturelle sont, au contraire, fortement soupçonnés d'avoir été empoisonnés par leurs femmes, leurs mères, leurs soeurs ou leurs fils adoptifs, aspirants au trône de toute urgence.

Etre empereur ou roi signifie être un dieu, au centre de l'attention. Les empereurs, comme les rois, sont des personnages qui se distinguent pour leur immense ambition ou pour leur chance de cocu qui les portent à être adoptés où à naître fils de rois ou d'empereurs. Dans les périodes où des rois et des empereurs n'étaient pas prévus, des personnages que l'on peut comparer, quant à célébrité ou gloire, à des rois et des empereurs, peuvent comparaître. Les Scipions, Mario, Silla, Pompée, Crasse et César, furent tellement connus et eurent tant de pouvoir, dans l'âge républicain, qu'ils auraient pu être des grands empereurs. Et en effet, on connait presque tout d'eux. Pour les consuls, dont la charge durait un an, et pour les dictateurs, qui restaient à la tête des légions jusqu'à ce que le péril cessait, l'interêt des écrivains et des chroniqueurs se limitait à la période de plus grande gloire. De certains nous connaissons la mort parce qu'elle survint durant leur charge. Si bien que de la majeure partie de ces personnages de la période républicaine, souvent nous n'avons que des noms écrits dans les annales et les fastes. Dommage, car connaître, au moins en abrégé, la vie des hommes illustres pourrait être intéressant. Il serait surtout intéressant de connaître la durée de la vie et le genre de mort de chaque personnage historique marquant. Ces données sont très éducatives. Les rois et les empereurs avaient, par définition, beaucoup de faux amis et beaucoup de vrais ennemis. Beaucoup d'ennemis, beaucoup d'honneur, mais une vie tourmentée et difficile à faire durer. Ceci n'est pas une condition enviable aujourd'hui que l'homme, comme il a toujours fait d'ailleurs, aspire à l'éternité, réconforté désormais par quelques vagues promesses de la science officielle. L'idéal serait une vie tranquille, longue, sans stress, avec une nourriture saine et suffisante à ne pas grossir, du sexe satisfaisant mais pas fatigant, des voyages, du sport, des amitiés agréables, l'abolition de toute maladie. Je dirais, sans aucun doute, que celui qui réussissait à atteindre ces buts pourrait être défini un moderne empereur ou un pacha. Ceci est évidemment l'idéal de vie bourgeoise assez proche de l'épicurisme, même si le saint Epicure sut vivre héroïquement et sagement dans la douleur de la maladie qui l'affligeait et même si un de ces disciples, comme le grand Lucrèce, n'eut certainement pas une vie heureuse.

Mais les modernes empereurs réussissent-ils à atteindre cet idéal de bonheur? Est-ce que ça vaut la peine aujourd'hui, de devenir empereur? Demandez-le à Clinton ou à Bill Gates. Quoi? La réponse est: ça vaut la peine et c'est très amusant? Aujourd'hui qu'à Camp David les traités de paix ont échoué et que nos Outlook Express et Internet Explorer doivent être modernisé d'urgence sous la menace du krach du système? Eh oui, ce sont des détails qui ne font pas partie des manuels du bonheur des modernes empereurs, ni ils peuvent être comparés aux rébellions des barbares qui poussaient aux confins de l'empire et qui étaient considérées par les empereurs romains des dangers bien plus sérieux que les séditions, les conjurations de palais et les trahisons internes.

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© 2000 Emanuele & Michele